Les propos de Patrick le Lay, PDG de TF1, sur le lavage de cerveau et la vente de Coca-Cola.
Patrick Le Lay s’explique dans “Télérama” sur ses propos controversés
LE MONDE | 07.09.04
Revenant sur sa petite phrase sur le métier de TF1, le PDG de la chaîne réaffirme sa “logique de puissance”. Nombreuses en privé, les réactions restent prudentes en public.
“Je reconnais que cette formule était un peu caricaturale et étroite.” Dans un entretien à paraître mercredi 8 septembre dans l’hebdomadaire Télérama (Groupe La Vie – Le Monde), Patrick Le Lay, PDG de TF1, s’explique sur sa “petite phrase” qui commence, avec retardement, à susciter la polémique dans le monde de l’audiovisuel et de la culture en général.
Dans Les Dirigeants face au changement, un livre paru en mai aux Editions du Huitième Jour, qui donne la parole à une vingtaine de responsables de grandes entreprises, M. Le Lay estime qu'”il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective “business”, soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit”. Et de poursuivre : “Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité”.
M. Le Lay justifie ses propos en expliquant à l’hebdomadaire que c’était “dans le cadre d’une conversation, et j’ai l’habitude de forcer le trait pour faire comprendre les concepts”. Mais, affirme-t-il, “je ne reconnais cependant pas le métier de TF1 dans cette formule, et je ne me retrouve pas dans les propos qu’on me prête : on me transforme en marchand de cerveaux !”.
Il continue : “Nous sommes une grande chaîne populaire et familiale dont l’objectif est de plaire à un maximum de gens pour réaliser un maximum d’audience. (…) La logique de TF1 est une logique de puissance. Nous vendons à nos clients une audience de masse, un nombre d’individus susceptibles de regarder un spot de publicité. Pour les annonceurs, le temps d’antenne ne représente rien d’autre que des “contacts clients”. De l’attention humaine.” En conclusion, note le PDG de TF1, “je devrais me taire, quand je vois ce que ça me coûte de parler… Mais hélas, ce n’est pas dans ma nature !”.
Si, durant l’été, peu de personnalités de la culture, des médias ou de la politique ont réagi publiquement aux propos de M. Le Lay – à l’exception notable du cinéaste Robert Guédiguian, dans une tribune parue dans Le Monde du 10 août -, elles commencent aujourd’hui à s’exprimer, avec précaution.
Premier à avoir réagi, le Groupe 25 images, l’association des réalisateurs de films de fiction pour la télévision, a publié à la mi-juillet un communiqué intitulé “Le meilleur des mondes”. Ironisant – “Le père Ubu est de retour pour remplir son voiturin à Phynances”, écrivait-il -, il en appelait à une “vigoureuse réaction du Conseil supérieur de l’audiovisuel, du Centre national de la cinématographie et du ministère de la culture”.
Courant août, la Société des compositeurs et auteurs multimédia (SCAM) a lancé une campagne contre la prise de position du patron de TF1 en diffusant notamment une affichette barrée d’un grand “NON !” sur laquelle elle déclare : “Les propos tenus par le président de TF1 témoignent du niveau de dégradation que peut atteindre la télévision le signe du cynisme, du mépris et de l’arrogance.”
Producteurs, journalistes ou animateurs qui travaillent de près ou de loin pour TF1 confient “off the record” leur indignation mais ne souhaitent pas la dire publiquement. “Je n’ai pas envie de me suicider professionnellement en critiquant mon patron”, confiait par exemple au Monde un des animateurs de la chaîne après la conférence de présentation de la nouvelle grille des programmes de TF1 fin août.
“BRUTAL ET CHOQUANT”
Lors de la présentation des programmes de France Télévisions le 31 août, Marc Tessier, son PDG, rappelait que la holding publique “fait appel à l’intelligence et non à la capacité de consommation des téléspectateurs” et Christopher Baldelli, directeur général de France 2, soulignait que sa chaîne “a délibérément fait le choix de la télévision qui éveille et stimule les neurones”.
Dans Télérama, Jérôme Clément, PDG d’Arte, juge “brutal et choquant” le discours de M. Le Lay et trouve “surprenant le silence assourdissant du Conseil supérieur de l’audiovisuel”. Sollicité par l’hebdomadaire, Dominique Baudis, président de l’institution, s’en tient à sa ligne de conduite en affirmant qu’il “ne fait jamais de commentaires sur des propos tenus par des dirigeants de chaîne”.
Daniel Psenny
– ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 08.09.04